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L’espace d’un instant, le visage de Jargo trahit une hésitation.
« Parce que si vous me tuez, il n’y aura plus de marché. Plus de fichiers pour vous, dit Evan. Plus de Deeps. Je ne suis pas venu pour vous tuer. Simplement pour conclure un marché.
— Alors, pourquoi ton père est-il entré seul ?
— Son idée. Pas la mienne. Il tient trop à me protéger. Je suis certain que vous en faites autant avec Dezz, oncle Steve. »
Jargo sourit.
« Ou devrais-je juste vous appeler oncle Nikolai ? »
Le sourire s’effaça.
« Vous n’avez plus beaucoup de temps, poursuivit Evan. Vous voulez les fichiers présents sur le portable de Khan, je peux vous les donner. » Evan avança, contourna l’arme que Jargo braquait sur lui et s’agenouilla près de son père. « Je t’avais dit que ça ne marcherait pas, papa. On va faire ça à ma façon. »
Mitchell acquiesça, abasourdi.
« Vous lui avez cassé les doigts, dit Evan à Jargo.
— C’est Dezz qui l’a fait. Il se laisse emporter. Mais il ne nous a pas dit que tu étais dehors, si c’est ce qui te tracasse.
— Ça ne me tracasse pas, répliqua Evan. Je suis certain de pouvoir lui faire totalement confiance, de la même manière que vous pouvez faire confiance à Dezz.
— Qu’est-ce que ça veut dire, ces conneries ? » s’énerva Dezz.
Evan tourna le dos à Jargo, son regard croisa celui de Carrie et il prononça sans émettre un son, de sorte qu’elle puisse lire sur ses lèvres : Tout va bien.
Elle ferma les yeux.
« Je peux vous donner les fichiers maintenant », annonça Evan.
Jargo lui colla de nouveau le canon de son arme contre la tête.
Evan se pencha vers le portable. Il était allumé et n’attendait plus que le mot de passe.
Evan entra le mot de passe, puis recula.
« Et voilà », dit Evan.
Le portable digéra le mot de passe, l’invite disparut et une application vidéo se lança automatiquement.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? demanda Jargo.
— Regardez », répondit Evan.
Le film s’ouvrit sur une scène tournée au zoo Audubon le lundi précédent sous un ciel gris annonciateur de pluie. La caméra zooma sur le visage d’Evan, puis sur celui de Jargo, qui parlait de profil et semblait perdre son calme. Puis la voix préenregistrée d’Evan se superposa aux images.
« Cet homme en colère que vous voyez à l’écran est Steven Jargo. Cela fait longtemps que vous travaillez avec lui. Vous avez fait appel à lui pour éliminer des gens, voler des secrets qui ne vous appartenaient pas, mener des opérations que votre gouvernement ou vos supérieurs n’approuvaient pas. Peut-être n’avez-vous jamais vu son visage – il se cache derrière d’autres personnes – mais le voici. Regardez-le bien. »
À l’écran, Jargo se tourna vers la caméra que Shadey maniait dans l’ombre. Furieux, presque effrayé. Vulnérable.
« Les opérations de M. Jargo ont été compromises. Il a égaré une liste comportant le nom de chaque client de son réseau d’espions. Des agents des principales agences de renseignements. Des ministres de divers gouvernements. Des cadres supérieurs. Si vous recevez cet e-mail, votre nom est sur cette liste. »
Jargo émit un son guttural.
Puis la scène montra la fusillade, puis Evan donnant un coup de poing à Jargo avant de s’enfuir avec Carrie dans les profondeurs du zoo tandis que Jargo se relevait et les prenait en chasse avec Dezz.
« Pourquoi est-ce que je vous parle de ce problème ? reprit la voix d’Evan. Parce que nous attachons une grande valeur à vos affaires. À votre loyauté envers le réseau de M. Jargo. Mais chaque organisation doit grandir et affronter de nouveaux défis. L’heure du changement est venue. Je comprends que vous hésitiez à poursuivre vos activités avec nous.
— Espèce d’enculé ! lança Dezz.
— Mais ne craignez rien, poursuivit la voix d’Evan. Inutile de demander à vos services de renseignements d’éliminer M. Jargo. Nous sommes ses associés, nous avons pris le commandement du réseau et la situation est désormais sous contrôle. Vous serez prochainement contactés par un nouveau représentant de notre organisation pour discuter des affaires que vous ferez bientôt avec nous. Merci de votre attention. »
Le film se termina par un fondu sur la foule du zoo qui continuait de fuir devant l’objectif de Shadey. Puis il recommença depuis le début. Evan laissa la vidéo se dérouler, histoire de bien enfoncer le clou.
Jargo était figé, tel un homme dont le monde viendrait de s’écrouler. Dezz saisit Evan à la gorge.
« Recule, dit Evan. Je n’ai pas terminé.
— Lâche-le. Laisse-le parler, ordonna Jargo d’une voix brisée.
— Vos clients, expliqua Evan d’une voix neutre, sont des gens puissants qui ne veulent pas voir leur linge sale lavé en public. Peut-être qu’ils accepteront de travailler avec mon père et moi, peut-être pas. Ils ont des raisons de ne pas laisser tomber les Deeps. Nous pouvons leur faire mal, ils peuvent nous faire mal, mais si on ne met pas trop le nez dans la merde, ils auront ce qu’ils veulent et nous nous ferons un beau paquet de fric.
— Nous ? répéta Jargo.
— Oui, dit Evan. Mon père et moi prenons la tête des Deeps. »